la peinture numerique n'est elle que virtuelle?
Certes les peintres numériques existent,
j'en ai rencontré. Pour autant leur existence et leur
énumération suffisent ils à considérer que la peinture
numérique en tant qu'espace de créativité existe bel et bien,
tant par rapport au milieu artistique et professionnel
que par rapport au public?
L'art numérique est un
vaste domaine de création où se cotoient trois tendances. L'art
contemporain (conceptuel) qui utilise le numérique dans ses
installations ou ses toiles pour, la plupart du temps,
(dé)montrer l'omniprésence de cette technologie dans notre
société et les risques innérents (où le spectateur fait
partie de l'oeuvre). L'animation de synthése qui fait partie du
secteur industriel cinématographique (où le support
est l'écran). Enfin, la peinture numérique; création imprimée
de production fixe 2D ou 3D (où le support est la toile
ou le papier).
La peinture numérique, dont je parlerais uniquement, peut se
définir simplement comme un moyen d'expression plastique qui
exploite la technologie numérique tant pour générer l'oeuvre,
la stocker, la diffuser et la promouvoir. La peinture numérique
conjugue une production traditionnelle dans la
conception, à savoir que l'oeuvre a une finalité esthétique,
mais tire les avantages du numérique dans sa fabrication (tirage
en quantité limité, impression sur toile, déclinaison sur
différents supports). L'avantage réel de cette technique est
d'utiliser un seul outil, l'ordinateur, pour pratiquer
différentes techniques (pastel, fusain, acrylique, collage de
matière, filtre ...). Cela étant dit, quelles sont les raisons
qui retardent l'assimilation de la peinture numérique par le
milieu artistique et le grand public?
LA RAISON SEMANTIQUE
Je crois que le probléme du discrédit de la peinture numérique
vient bêtement, dans un premier temps, de son intitulé composé
de « peinture » qui induit traditionnellement la production
d'une oeuvre physique unique et de « numérique » qui induit
une production assitée par ordinateur et sous-entend,
dans le terme en tous cas, une multiplicité potentielle de la
création, qui pose la question de la désignation de l'oeuvre :
est-ce le fichier conservé sur ordinateur où la production
physique signé de l'artiste? Ensuite, le fait de maintenir dans
l'appelation même la nature technique d'un mode d'expression
artistique a tendance à le dévaloriser en l'enfermant
précisemment dans un domaine technologique. Cela met en avant la
technique, alors que ce qui importe c'est la créativité. Qu'un
peintre s'exprime à l'huile, à l'acrylique ou à l'aquarelle,
importe peu, ce qui compte c'est la qualité de sa créativité,
de son imaginaire et ensuite de la maitrise technique dont il
fait preuve. Des tentatives de nouvelles appelations ont existé.
L'artiste numérique breton Hommin Lebirec a
créé « Art présent », ce qui permet de désigner l'art sans
mettre en évidence la technique en le dissociant, de plus, de
l'art contemporain. Cette appelation était d'autant plus
pertinente qu'elle était le nom d'un groupement d'artistes
numériques. Pierre Leprêtre (conseil en
technique de l'information), quant à lui, avait créé « toile
numérique » pour l'intitulé des expositions d'artistes
numériques qu'étaient les Rencontres de la Toile Numérique.
Cette dénomination, elle aussi, permettait de ne pas parasiter
la notion de création en désignant la production physique de
l'oeuvre. Malheureusement, pour diverses raisons, ces deux
appelations n'ont pas eu le rayonnement qu'elles méritaient et
il ne subsiste, aujourd'hui encore, que l'appelation médiatique
de « peinture numérique ».
LA RAISON DE LA
TECHNIQUE
Le peintre numérique est associé à une technique même s'il
pratique par ailleurs la peinture à l'huile. Le paradoxe vient
donc de cette mise en avant (volontaire ou non) de la technique
utilisée et dissocie de ce fait le peintre de l'univers de la
création artistique traditionnelle. Alors que
l'ordinateur n'est qu'un outil de création supplémentaire à la
palette d'un peintre, la focalisation sur l'aspect technique qui
est du, à mon sens, en partie au fait qu'il y a plus de 10 ans
de cela, il était déjà de bon ton de parler à tout bout de
champ de parler de nouvelle technologie et de numérique, à
figé la peinture numérique dans un domaine technologique et l'a
rapproché involontairement dans la perception que le public peut
en avoir d'un domaine de production, notamment l'imprimerie et la
vidéo et l'a éloigné d'un domaine de pure création
artistique. De fait, les multiples événements de promotion de
la peinture numérique auxquels j'ai pris ma part ont getthoïsé
cette forme d'expression en la réduisant à sa seule technique,
comme si tout d'un coup, un artiste exploitant le numérique,
produisait différement une oeuvre alors que le
numérique n'apporte fondamentalement rien de plus à la
créativité artistique. Il permet à l'artiste, par l'émulation
des techniques traditionnelles, de gérer son oeuvre
autrement, tant au niveau de la production que de la promotion.
LA RAISON MARCHANDE
Cet état de fait n'a donc pas permis de valoriser
commercialement la peinture numérique. Nombres d'événements
nationaux pouvant assurer la promotion des peintres numériques,
ont d'ailleurs fini par disparaitre pour des raisons de rentabilité
(sous-entendu, le public n'était pas au rendez-vous ou n'y
voyait qu'une démonstration technologique), ce qui n'a fait
qu'accentuer cette notion d'effet de mode et n'a pas inciter les
réseaux de galeries à investir dans la peinture
numérique d'autant qu'ils avaient connu, c'est mon point de vue,
un revers spéculatif avec la « figuration libre » dont la
côte à chuté aussi rapidement qu'elle a été valorisée. Ils
se sont donc retourné vers des valeurs sures sans
prendre le risque (on peut le comprendre) de vendre la
peinture numérique. Et mécaniquement, une oeuvre numérique ne
pouvant être valorisée (par la cotation potentielle de
l'artiste, notamment), elle n'est pas achetée. Rajouter à cela
qu'une interrogation demeure sur la durée de vie d'une
toile numérique et que le réseau de galéristes est en pleine
modification (c.f. les articles : « Mettre le pied dans le
marché » et « L'art et l'art...gent »), et nous pouvons
comprendre pourquoi les investisseurs ne se ruent pas dessus.
LA RAISON ARTISTIQUE
Un autre élément contribue aussi à une confusion en matière
de visibilité de la peinture numérique c'est le
mélange des genres (retouche photo, vidéographie, infographie,
peinture-palette) de création numérique et le fait que n'importe
qui peut prétendre produire une oeuvre numérique, pour peu
qu'il maitrise les logiciels, et l'exposer physiquement et/ou sur
le net. Ce qui pose le probléme de la définion d'une oeuvre
numérique et donc son authentification en tant
qu'oeuvre de création et l'identification d'un peintre
numérique.
L'incompréhension vis-à-vis de la peinture numérique est lié
à l'ordinateur, lui même, qui n'est pas percu comme crédible
d'un point de vue de la création à cause de ses nombreuses facilités
logicielles. Est ce vraiment l'artiste qui crée ou l'ordinateur
? Par ailleurs, le résultat physique de l'oeuvre est
dévalorisé par rapport à une production a l'huile, par
exemple. Ce qui est somme toute cohérent, si on établi une
échelle de valeurs au niveau des techniques mais cela fausse le
jugement des spectateurs car ils ne percoivent pas le résultat
en tant que tel mais par comparaison avec d'autres modes
d'expression.
L'art conceptuel a transformé l'oeuvre d'art en outil
socio-économique, faisant entrer l'artiste dans l'ére
industrielle. Ce qui est la véritable preuve de sa
contemporanité et non sa prétendue créativité. Pourquoi la
peinture numérique, malgré sa technique, n'y est toujours pas
parvenu?